Traumatisme, honte et secret en milieu militaire : une approche clinique
Introduction
Le secret est un fondement incontournable de toute relation de soin. Bien au-delà d’une obligation déontologique, il constitue un véritable pacte moral entre soignant et patient, essentiel à l’instauration d’une relation de confiance. Dans le champ du psychotrauma, ce lien prend une dimension encore plus profonde : le trauma lui-même se définit souvent par son caractère indicible.En milieu militaire, cette notion est redoublée par la spécificité de la mission, le poids de la hiérarchie, le sentiment de responsabilité individuelle et l’impossible partage de certaines expériences.
Cet article propose une exploration de la tension entre secret, honte et trauma à travers une approche clinique, en se fondant sur des observations de terrain en milieu militaire.
1. Le traumatisme psychique : une effraction du psychismeLe traumatisme psychique survient lorsqu’un événement fait irruption dans la vie d’un sujet et dépasse ses capacités de représentation. Selon Lebigot, il vient "fracturer la vésicule psychique", confrontant l’individu à une réalité irreprésentable : souvent la mort, la sienne ou celle des autres. Ce savoir inédit isole, détruit le lien social, entrave la pensée. Le traumatisme devient ainsi un secret intérieur, un poids qui ne trouve pas de mot.
2. Secret, honte et culpabilité : les obstacles à la parole
Le trauma, comme le secret, relève de l’incommunicable. S’y ajoutent souvent deux sentiments profonds : la honte, ressentie comme mépris ou indignité, et la culpabilité, liée à un sentiment de faute. Le sujet se reproche son absence de réaction, ou bien une action perçue comme transgressive. Honte et culpabilité renforcent le silence, l’isolement, et empêchent la création d’un lien thérapeutique.
3. Particularités du psychotrauma en milieu militaire
Dans l’armée, la souffrance psychique est souvent vécue comme un aveu de faiblesse. L’idéal de maîtrise et d’endurance rend difficile l’expression du traumatisme. Les troubles peuvent alors se manifester sous forme de passages à l’acte, de conduites à risque, d’abus de substances, ou de plaintes somatiques. Les unités d’élite sont particulièrement concernées par des effondrements tardifs.
Le secret opérationnel ajoute une couche de complexité : missions confidentielles, vision de l’horreur, impossibilité de partager ce qui est moralement insupportable. L’individu se retrouve seul face à un savoir qu’il ne peut ni oublier, ni transmettre.
4. Quand la parole est impossible : comment accueillir le patient traumatisé ?Certains patients ne peuvent pas parler. Il faut alors respecter leur silence, proposer un accompagnement centré sur les symptômes, répéter les entretiens pour instaurer une alliance. Ce n’est que dans un climat de confiance que le récit traumatique pourra émerger.Il convient de se garder de tout jugement moral, de replacer les actes dans leur contexte, de soutenir l’expression de la honte et de la culpabilité, d’ouvrir des espaces d’identification et de reconnaissance.
5. D’autres voies que la parole : le corps, l’art, le groupe
Quand les mots manquent, d’autres médiations peuvent aider : l’art-thérapie, le mouvement, la musique, les groupes de pairs. Ces approches permettent de restaurer le lien, le narcissisme, et parfois amorcent une verbalisation secondaire.
Conclusion
Le trauma de guerre enferme le sujet dans un isolement profond. Le secret de la mission, la culpabilité, la honte et l’irreprésentabilité de l’expérience se conjuguent pour verrouiller l’accès à la parole. Le travail du soignant est d’offrir un espace sûr, de respecter le silence, de soutenir l’émergence progressive d’un récit. C’est dans ce tissage lent qu’une véritable transformation psychique peut émerger, et permettre au sujet de retrouver un sens à sa propre histoire.