Samedi 25 Novembre 2023

 

Yannick PONSOT, Psychologue clinicien, Président Association

Clinamen

 

« Discontinuité et traumatisme »

 

Bonjour à tous,

Je vous remercie de votre présence pour le 3° colloque de notre association et je remercie plus particulièrement nos intervenants qui ont su se mobiliser pour participer à notre réflexion d’aujourd’hui. Le thème en est « Adolescents et traumas ».

Il me semblait important d’insister au travers du mot « adolescents » au pluriel sur l’idée de la singularité de chacune des rencontres qui ont fondé ce thème. Les modalités d’interpellation sont multiples, les manifestations symptomatiques  sont diverses et interrogent de notre point de vue, pour chacune d’entre elles, notre positionnement en tant qu’adulte comme nous le verrons tout au long de  cette journée.

Quant au terme « traumas », le pluriel marque la récurrence des événements qui les fondent et dont le télescopage, tant interne qu’externe au sujet peut expliquer le dysfonctionnement psychique aujourd’hui observé chez certains de nos plus jeunes patients.  Nous verrons plus loin la distinction qui devra être faite entre « trauma », « traumatisme » et « traumatique ».

Il me semblait aussi intéressant d’aborder cette journée à partir du concept de discontinuité, dont l’étymologie renvoie à la « négation du tenir ensemble »

Elle traverse tous les champs de nos débats :

  • le contexte sociétal dans laquelle elle s’inscrit où l’on ne peut parler, ni du maintien d’une réalité historique qui fonderait sa continuité, ni de transformation et donc d’un changement, mais de ruptures brutales, de discontinuités qui aveuglent et troublent nos repères
  • la problématique adolescente, où l’enjeu principal, pour paraphraser François MARTY[1], est le maintien de la continuité d’un sentiment d’existence dans un vécu de discontinuité,
  • Le traumatisme, enfin, qui pour Claude JANIN, vient modifier les processus de « fonctionnement mental habituel qui fait que ce qui était représentable ne l’est plus, que ce qui était symbolisable ne l’est plus, que le recours à une causalité comme constitutive du sentiment de continuité et d’historicité n’est plus possible ». Le traumatisme est alors « le vécu de rupture intérieure de cette continuité alors que le sujet n’y est pas sur un plan psychique , préparé, et qu’il ne peut donc se donner à lui-même une représentation des causes de la discontinuité qui vient de surgir »[2].

Abordons donc dans un premier temps les éléments contextuels et historiques de ces 10 dernières années qui ont accompagné la maturation psychique des jeunes que nous rencontrons aujourd’hui.

Le choix de ces éléments se fondent à la fois sur le discours des adolescents rencontrés et sur ses constantes : une violence mortifère, une symbolisation difficile voire impossible, un état de sidération constaté.

Nous  connaissons en France depuis 2015 des attentats meurtriers qui marquent et inscrits la violence terroriste aveugle comme un possible et contre laquelle il est difficile de se protéger. Le « nous sommes en guerre » vient sonner la fin d’une insouciance et les terrasses de café, les lieux de concert, l’école peuvent être alors vécus comme des espaces de résistance pour certains, comme des lieux menaçant pour d’autres.

La couleur de Vigipirate devient la météo du lien social.

« Je suis Charlie » , « Paris est une fête », la « promenade des anges » « Non à la barbarie », leur présent s’est teinté de slogans,  marquant certes l’affirmation d’un « nous » rassurant mais pour d’autres un moyen prophylactique pour conjurer le mauvais sort. Et cette litanie sanglante ne cesse aujourd’hui encore de s’allonger amplifiant la crainte pour certain, la banalisation pour d’autres, l’inspiration parfois aussi pour les plus fragiles.

Comme le souligne le sociologue Gérôme TRUC « notre sidération lorsque nous apprenons la nouvelle d’un attentat…. », est  « un entrelacs complexe de sentiments à la fois impersonnels et personnels, de sens du « nous » et de sens du « je » dont la composition varie en chacun d’entre nous. C’est pourquoi aussi « sidération » s’entend mieux ici au pluriel qu’au singulier. Nous sommes « tous sidérés » par l’attaque terroriste mais à des titre et des degrés divers. »[3]

Dans un autre registre, la crise sanitaire a bien des égards  n’a que renforcé et amplifié cette discontinuité. Si on pourrait faire le constat d’un relatif retour à la normal face à cette épidémie aujourd’hui, comme le souligne Bidart et ses collaborateurs, l’état actuel « tranche avec le climat de sidération, les contraintes sanitaires et sociales , les manières de vivre et les adaptations plus ou moins improvisées qui ont régné en France et dans le monde en 2020-2022…  De ce point de vue, et à l’échelle des générations de l’après Seconde Guerre mondiale, rares sont les événements ayant eu, à l’échelle de la planète, autant d’effets sur la vie sociale en un temps si court et à un rythme aussi brutal. »[4]

Tout dans cette pandémie et sa gestion est venu contredire les fondements même de l’adolescence !

A cette période de la vie où l’on s’ouvre aux autres et au monde, ou s’affirme peu à peu la distance aux parents pour créer de nouvelles relations loin de leur regard, s’oppose confinement et promiscuité.

L’articulation séparation psychique et mise en sens de la temporalité est alors interrogée, puisque l’une sous-tend l’autre. Cette mise en sens de la temporalité,  comme le souligne Catherine Azoulay, « ouvre vers la créativité nouée par la pulsion libidinale, entraînant ce formidable désir de conquête du nouveau, c’est-à-dire de l’autre, inscrivant alors le sujet dans son histoire »[5].

Créer sa propre existence ne signifie pas abolir le passé « mais correspond à son intégration au sein d’un moi qui admet sa ressemblance et sa différence avec l’autre : l’autre du passé, investi de libido, permet l’investissement libidinal de l’autre du futur. »[6]

La crise sanitaire a été perçue à l’époque comme une période à durée indéterminée, imposant une promiscuité , un ailleurs impossible, un futur incertain et illisible . La crise sanitaire à ce titre a bel et bien été un triste cocktail pour nos adolescents.

L’espérance « d’un monde d’après » a accouché alors d’une discontinuité géopolitique, avec la réapparition sur notre continent européen de la guerre dont on se croyait définitivement débarrasser. La violence guerrière sur fond d’usage nucléaire possible ont vivement angoissé les plus vulnérables, là encore. L’équilibre d’hier devient le déséquilibre d’aujourd’hui, des deux blocs dominants on glisse vers un monde multipolaire fait d’alliances en fonction d’intérêts convergents et conjoncturels. 

Tous ces événements succinctement évoqués s’inscrivent enfin dans une discontinuité qui les dépasse toute, celle de l’histoire humaine. On parle d’extinction de masse qui devrait sceller définitivement le sort de l’humanité. De rapport du GIEC en COP qui se succèdent, les limites planétaires sont franchies les unes après les autres sans que se dessinent de façon majeure un quelconque ralentissement.

Cette conscience écologique est présente chez bon nombre de nos adolescents avec une Greta Thunberg  en porte drapeau et d’autres encore de la même génération. Le réchauffement climatique, la montée des eaux, les catastrophes  naturelles qui s’enchaînent soulignent notre impuissance, toutes ces manifestations sont déjà là, perceptibles, tout comme l’inaction des adultes qui relativisent, banalisent, qui ne se semblent pas, en tout cas selon eux, se mobiliser pour leur avenir.

Je suis bien conscient qu’en vous exposant ce déroulé rapide des événements qui nous ont tous traversé je peux vous faire penser au pire, à Philippulus dans Tintin, ce vieillard barbichu et dérangé qui annonce le châtiment en brandissant un index menaçant[7]. Au mieux vous pouvez penser que je suis atteint de ce que Bachelard[8] appelait le « syndrome de Cassandre » qui désigne ces situations où on ne croit pas ou ignore des avertissements ou préoccupations légitimes.

Vous m’accorderez cependant qu’au travers de ce court exposé plusieurs remarques s’imposent :

  • Tous ces événements, à des intensités et conséquences diverses, peuvent être reliés à l’idée de mort et de traumatisme tel que Louis Crocq le définit : «phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou pour l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu qui y est exposé comme victime, comme témoin ou comme acteur».
  • Tous ces évènements sont susceptibles de conduire à un état de sidération. Cet état est à l’œuvre dès qu’un comportement ou une situation imprévue ne rentrent pas du tout dans nos schémas de pensée habituels. Comme le souligne Muriel SALMONA, « La violence (qu’ils comportent) pénètre comme un raz de marée le psychisme et balaie toutes les représentations mentales, toutes les certitudes, rien ne peut s’opposer à elle»[9]

Même si cette génération est marquée par l’évanescence informationnelle, la succession de ces événements produit un empilement traumatique, une récurrence inscrite dans la durée.

Les résultats du baromètre Santé 2021 publié par Santé Public France souligne que « la prévalence des épisodes dépressifs a augmenté en France. La tendance, déjà amorcée depuis 2010, a connu une accélération sans précédent entre 2017 et 2021, en particulier chez les jeunes adultes »[10].

Pour cet organisme la cause en est le stress lié à la maladie de la Covid-19 et ses restrictions imposées pour la contrôler mais il me paraît difficile d’écarter les autres éléments contextuels aujourd’hui évoqués.

 

Si nous tenons compte maintenant de cette discontinuité que représente la problématique adolescente, en tenant compte des motifs de consultations, nous retiendrons:

  • des plaintes corporelles
  • des problèmes de comportement comme l’agitation, le repli ou l’agressivité
  • des problèmes scolaires 
  • de l’anxiété qui prendra différentes formes, d’intensité variable allant de l’inquiétude à l’attaque de panique en passant par l’angoisse chronique ou les phobies sociales
  • de la dépression à la symptomatologie variée
  • une anesthésie voire une absence émotionnelle (alexithymie).

 

Comprendre ces troubles c’est se rappeler que l’adolescence est à la croisée du physiologique, du psychologique et du social.

Comprendre ces troubles c’est prendre en compte cette vulnérabilité  liée aux effets psychiques et physiques de la puberté et qui va entraîner le besoin pour l’adolescent de renforcer ses « défenses » c’est-à-dire sa capacité à se défendre contre l’angoisse.

Comprendre ces troubles c’est accepter et accueillir cette discontinuité liée à la traversée pubertaire et l ‘apparition des signes sexuels secondaires qui marquent une rupture brutale par rapport à l’enfance. On passe du corps familier de l’enfant au corps inconnu et transformé de l’adolescent, corps qui devient, je vous le rappelle, susceptible alors d’assurer la reproduction de l’espèce !

L’adolescent devient étranger à lui-même avec ces transformations corporelles, parfois dysharmonieuses, qui peuvent entraîner des angoisses dysmorphophobiques pour certains. Comme il se  donne à voir, certains tentent de le « diluer » dans des vêtements amples de peur que les autres perçoivent ce qui  le traverse !

Comme le souligne François Marty, « l’adolescence est l’une des étapes du développement humain où se jouent des mutations fondamentales et irréversibles, conduisant à une métamorphose qui inscrit l’adolescence dans la transformation de l’existant en une nouvelle forme d’être »[11] Être soi à l’adolescence implique de pouvoir intégrer le changement corporel dans la permanence du sentiment d’exister, jouer avec l’incertitude des formes de l’être adolescent, fonder la reconnaissance de soi à partir des limites changeantes du corps pubère. Être soi suppose aussi d’intégrer ses émotions, de ne pas être coupé d’elles »[12].

Comprendre ces troubles c’est donc articuler les changements corporels et la dimension émotionnelle qu’ils sous-tendent : l’adolescence est un flux émotionnel qu’il faut apprendre à gérer. 

Les émotions sont «des guides qui servent à se repérer dans la relation à soi-même et la relation aux autres »[13].

Devenir adulte c’est accepter d’être traversé par ses émotions, de les accueillir, de les nommer et le cas échéant de les exprimer et je me permets de citer là encore François MARTY « l’émotion confronte l’adolescent à sa passivité : quelque chose en lui s’exprime qui échappe à son contrôle. Accepter cette existence en soi d’une pareille force sans pouvoir être sûr de la maîtriser, voilà le défi auquel est confronté tout adolescent. A l’adolescence, plus qu’à tout autre âge de la vie, l’émotion révèle la présence en soi d’une sensibilité qui nécessite d’être élaborée, intégrée à la subjectivité pour que ce qui est vécu fasse sens. Peut-être s’agit-il « seulement d’un apprivoisement » »…[14]

Mais dompter ce vécu émotionnel  ne peut se concevoir sans un environnement contenant de cette expérience. Les adultes sont bien entendus les premiers concernés dans cette fonction et notamment les parents.

Ce qui traversent nos jeunes nous interpellent et nous questionnent sur nos propres émotions et ressentis. La confrontation qu’ils nous imposent parfois est un renforcement narcissique pour eux si nous savons poser des limites sans nous sentir personnellement attaqués. Accepter qu’au travers de cette étape de maturité pour eux c’est un vieillissement pour nous. Prendre conscience que nos mots, nos regards ont un poids considérable dans cette fragilité qui les caractérise. Leur prise de distance à notre égard, nécessité structurante, n’est pas une manifestation de rejet, même si les portes claquent… Se rappeler enfin que ce qu’ils traversent nous l’avons aussi vécu.

Cette période de l’existence est certes périlleuse  mais cependant pleine de richesse et ne saurait s’appauvrir de nos angoisses!

 

Oublier l’importance de notre accompagnement en tant qu’adulte du fait de nos propres problématiques n’est-ce pas alors aggraver cette discontinuité en eux et surtout cette discontinuité dans la succession des générations ?

 

Tenir notre rôle,  les accompagner dans cette démarche signifiante qui doit être la leur, ne pas démissionner au profit d’idéologies simplistes qui ne sont pour eux que des grilles de lecture délétères d’un monde en pleine mutation n’est-ce pas le rôle premier de la fonction d’éducateur ?

Comme le souligne Roland GORI « il importe de retrouver l’art de raconter nos expériences pour que des évènements que nous vivons se transforment en histoire vécue et partagée. Faute de quoi, en perdant la valeur de la parole et du récit, c’est le monde que nous avons en commun que nous perdrons, la capacité de le transmettre au risque de périr, béats, des prodigieux effets d’une civilisation technique et marchande des mœurs et de sa cruauté. Faute de quoi, ce sont les machines de l’information qui décideront à la place des hommes en leur prescrivant de nouvelles manières d’agir, de parler et de vivre. C’est ce profond désarroi subjectif autant que social qui produit ce nouveau malaise de la civilisation, malaise de l’humanité qui a progressivement consenti à sa propre aliénation en s’offrant elle-même en spectacle, dans la jouissance esthétique des marchandises » et GORI de conclure… « penser c’est transgresser les frontières de l’évidence et ne pas s’attarder à l’ornière des résultats »[15]

 

Arrivé à ce stade de mon exposé, je souhaite que l’on s’arrête sur l’idée de traumatisme.

Jusqu’à ce point j’ai mis en avant des événements de type traumatique qui viennent de l’extérieur faire intrusion chez des sujets qui eux-mêmes sont soumis à des événements internes à dimension traumatique.

Externe ou interne, la violence de ces évènements réside dans la soudaineté de leur apparition et l’impréparation des individus qui entraîne alors un sentiment de désorientation voire de sidération, le psychisme pouvant se trouver alors pris en défaut, débordé par l’excitation qu’il ne peut comprendre et gérer.

Vient alors, la perturbation massive du fonctionnement psychique et des défenses jusqu’alors efficientes.

En excès, ces perturbations peuvent entraîner un effondrement de l’intégrité psychique du sujet avec altération du rapport à l’autre et de la réalité.

 

Au-delà des images fortes auquel l’idée de traumatisme peut être rattachée, on peut considérer dans son emploi comme le souligne Roussillon que le traumatisme n’existe pas en soi, mais par contre « ce sont les théories, les conceptions et les modèles de pensée qui permettent de rendre compte des processus psychiques et des processus cliniques auxquels l’on est confronté »[16]

Pour rejoindre Bokanowski « on peut envisager une différence qualitative entre le traumatisme qui désorganise le fonctionnement psychique au niveau des investissements des relations objectales et le traumatisme qui désorganise la psyché au niveau de la constitution du narcissisme laquelle désorganisation peut se traduire par une souffrance identitaire et des troubles de la subjectivité »[17] et dans ce dernier cas le terme de trauma sera privilégié.

Au vu des patients reçus, des éléments contextuels évoqués, de cette période de vie qu’est l’adolescence nous pouvons raisonnablement penser que la très grande majorité des situations rencontrées relève du traumatisme et non du trauma.

On retiendra cependant que dans certaines situations de patients les évènements liés au contexte et au développement du sujet peuvent dans un premier temps occupé le devant de la scène pour l’adolescent et son entourage mais qu’ils ne sont que l’arbre qui cache la forêt d’un trauma plus archaïque qui compromet la constitution du Moi.

Si on tient compte de la mémoire traumatique qui vient cristalliser l’accumulation traumatique évoquée, elle peut être marquée par l’hébétude, puisque ce qui arrive à nos adolescents ne faisait pas parti de leur univers psychique. N’étant pas préparés ils ne savent plus quoi faire. Si la mémoire se fige, je  deviens prisonnier du passé, ma mémoire n’est plus évolutive, je ne peux plus acquérir d’autres informations qui me permettraient de changer la représentation de ce qui m’est arrivé, ça se répète, toute la journée, et la nuit cela peut prendre la forme de cauchemars, je suis prisonnier, ça n’évolue plus.

On sait que l’écriture, la parole, l’échange, la sécurité affective jouent un rôle primordial.  L’entourage c’est le lieu où la confidence est possible.

Notre place en tant qu’adulte se situe alors comme accompagnateurs de cette reconstruction signifiante pour l’adolescent, pour aboutir à une forme qui lui permettra de donner un nouvel élan signifiant à son existence.

Nul ne saurait le donner à sa place d’où l’importance vitale de garder en tête que c’est à lui,  l’adolescent, de le faire.

Notre positionnement alors en tant qu’adulte est de favoriser tout ce qui permettra que la parole se libère et soit entendue.

 

Pour cette génération et les traumatismes perçus, me revient une phrase de Camus :

«L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde»[18],

En fait, est-ce que la discontinuité fondamentale, celle qui se noue des traumatismes répétés ne vient pas du silence des adultes.

Est-ce que notre incapacité à donner du sens aux évènements que nous traversons nous-mêmes ne donne-t-elle pas corps à ces traumatismes.

Est-ce que la paresse dans l’acceptation de discours simplistes et réducteurs ne fait pas le lit de cette discontinuité fondamentale? 

Comme le souligne Esther Tellermann «songeons simplement à la promotion d’un Moi exacerbé dans son image, son narcissisme singulier, sa théâtralisation imaginaire, son affirmation aussi revendicative que fragile, très vite atteinte par l’autre en son intégrité, sexuelle, raciale, communautaire, religieuse … dès lors développant une demande de réparation. Réparation que la psychanalyse pourrait bien interpréter comme refus de la division subjective et de ses avatars, sans pour autant refuser d’être à l’écoute du « dol » de chaque sujet, trop vite aujourd’hui figé en « trauma », voire en sa jouissance »[19].

Roland GORY dans « La dignité de penser » estime qu’Il est « urgent que les adultes que nous sommes « retrouve le sens du récit et donc de recréer les conditions sociales et culturelles permettant de penser , de juger et de décider »[20]

Outre le fait de ne pas esquiver la confrontation signifiante d’un discours partagé qui ne peut être l’apanage de professionnels spécialisé, d’autres éléments doivent fonder cette position adulte contenante et structurante.

Face à ces troubles que nous avons évoqués,  l’impatience et l’urgence de répondre est contre-productive !

Nous sommes souvent confrontés dans nos prises en charge à la pression d’un environnement qui nous convoque pour trouver une solution, « vous comprenez il faut qu’il choisisse ce qu’il veut faire, il y a Parcoursup ! … ».

Et on voit des adultes qui  s’agitent dans tous les sens comme des « poulets sans tête » , pris alors dans une urgence face à la passivité du jeune ! Quelle est la priorité, le sourire retrouvé de l’adolescent, la reprise d’une capacité à penser son existence où le choix d’une filière géré par un algorithme ?

Il faut se rappeler les vertus de la patience pour ne pas être imprudent.

Comme le souligne François MARTY, « il faut accueillir et soutenir l’adolescent comme un soldat blessé, traumatisé par une attaque à laquelle il n’était pas totalement préparé »[21] d’autant plus dans l’environnement qui est le leur actuellement.

Il faut aussi se rappeler que le temps de la structuration psychique n’est pas le temps sociétal en perpétuel accélération et attendre d’eux, comme des professionnels, des avancées fulgurantes et illusoires qui ne mènent qu’à renforcer ces impasses aujourd’hui constatées.

 

Je vous remercie.

 

[1]« Adolescence et émotion, une affaire de corps », François MARTY, Enfance et Psy 2010/4 (n°49), pages 40 à 52, Editions Erès.

[2]« Les traumatismes psychiques. Définition, impact, traitement », Claude JANIN, Société psychanalytique de Paris, juillet 2014

[3]« Sidérations. Une sociologie des attentats » Gérôme Truc, Le lien social, PUF édition – Janvier 2016

[4]« Crise de la Covid-19 et confinement :regards sociologiques » Claire Bidart, Michel Castra, Séverine Chauvel, Violaine Girard, Colin Giraud, Carine Ollivier Dans Sociologie 2023/2 (Vol.14), pages 149 à 155 ÉditionsPresses Universitaires de France

[5]« Séparation, temporalité et créativité à l’adolescence », Catherine AZOULAY, Le Carnet Psy 1° septembre 2012 n°165

[6]Ibid.

[7]      « L’Étoile mystérieuse » « Les Aventures de Tintin »,  Hergé, Casterman  (1942)

  1. [8] Bachelard, Gaston, Le Rationalisme appliqué PUF, Paris, (1949)

[9]     « Le livre noir des violences sexuelles », Muriel SALMONA 2° edition, DUNOD (2019)

[10]  « Prévalence des épisodes dépressifs en France chez les 18-85 ans : résultats du Baromètre santé 2021 » Léon Christophe, du Roscoät Enguerrand, Beck François, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2023, n°. 2, p. 28-40

Santé publique France

[11]   « Adolescence et émotion, une affaire de corps », François MARTY, Enfance et Psy 2010/4 (n°49), pages 40 à 52, Editions Erès.

[12]Ibid.

[13]ibid

[14]Ibid

[15]« La dignité de penser », Roland GORI, collection Babel, 2021

[16]« Clinique(s) du traumatisme » Thierry BOKANOWSKI, Société psychanalytique de Paris, 2013

[17]Ibid.

[18]   «Le Mythe de Sisyphe», Albert Camus, Collection Les Essais (n° 12), Gallimard (1942)

[19]« Le wokisme, « archipélisation de la pensée » ? »  Esther Tellermann, site Le PONT

[20]« La dignité de penser », Roland GORI, collection Babel, 2021

[21]« Adolescence et émotion, une affaire de corps », François MARTY, Enfance et Psy 2010/4 (n°49), pages 40 à 52, Editions Erès